mercredi 26 octobre 2011

librement adapté...


Oh combien il est difficile de parler de ce film qu'est le Tintin de Spielberg. En effet, en adaptant les aventures de Tintin, en général, autour du secret de la Licorne, se cachait dans le destin du film une affirmation des promoteurs du film qui blessait le titinophile en moi: on ne peut pas adapter Tintin tel quel, ça n'intéressera personne, il faut ré-écrire, mouler le film dans une forme nouvelle.

Le secret de la licorne est, de très loin, mon album de Tintin préféré. Il marque une grande évolution dans le mouvement narratif de Tintin, le second, après le crabe aux pinces d'or qui marque la rencontre avec Haddock. C'est dans ce diptyque (avec Rackham le Rouge) que se dessine le nouveau modèle des aventures de Tintin, qu'on découvre Nestor, Moulinsart, Tournesol etc...

Son histoire, mouvementée, est une grande chasse aux trésors, malmenée par la paranoïa d'une époque, les tourments de l'histoire et une noblesse avide de richesses...C'est aussi un récit de piraterie majestueux, et une aventure sur une île au trésor que ne renierait pas Stevenson (autre grand auteur d'aventure chéri de mes lectures d'enfant)...

Ma passion pour le secret de la licorne est indéfectible, et l'annonce initiale du projet de Spielberg m'a fait, comme beaucoup, fantasmé comme jamais. Se demander quel album serait adapté, espérant farouchement que ce serait celui-ci. Voir déjà le requin sous-marin, qui me fascinait comme rien d'autre étant petit (un sous-marin en forme de requin...l'objet ultime...), la reconstitution de la bataille navale, Moulinsart et les frères Loiseaux...Tant d'attentes, tant d'espoirs...

Et puis les nouvelles tombent. On adapte en mélangeant deux albums, on incorpore des bouts du crabe aux pinces d'or. Certes...Allons-y, ouvrons sur la légendaire rencontre, et on enchaîne avec la licorne. Mais non, on a vraiment mélangé les deux intrigues. Là, je commence à tiquer et l'enivrement initial pour le projet devient un ressentiment, un négation, un refus.

Récemment, je découvrais, via la bande annonce et les premiers avis sur le film d'autres changements, qui changeaient...tout, et dont j'ignorais la portée. L'enfant rêvant de Tintin en moi, celui qui a rêvé 1000 fois le secret de la Licorne sur grand écran en a pris un coup dans la gueule, et oui, je me suis mis à détester avant l'heure cette adaptation.

Injuste? Oui. Le regard de certains tintinophiles m'ont permis de relativiser. L'avantage de savoir que ça n'a rien à voir, c'est d'être préparé. Injuste, donc. Spielberg a déjà retouché d'autres oeuvres (Minority Report, Jurassic Park) sans que ça me choque, très souvent en mieux. D'autres aussi, Kubrick, Peter Weir, et tant d'autres, se sont réappropriés des bouquins et rien en cela ne m'avait dérangé, pour la simple raison que ces livres étaient de parfaits inconnus pour moi.

Alors pourquoi se mettre en colère avant l'heure? Parce que dès lors que ça touche à quelque chose de précieux, c'est plus difficile. C'est comme un vase fragile qu'il nous tiens à cœur de préserver, on a du mal à le voir empoigné par quelqu'un qui le manipule un peu sèchement, risquant à tout instant de le casser devant vous...L'image est celle qui me vient en tête...On déteste cette personne, on n'a pas envie de lui faire confiance, même si c'est un professionnel. Les peurs générant de la haine ont toujours quelque chose d'irrationnel...

Finalement, comme l'a dit Bruno Podalydès dans le monde, c'est le Tintin de Spielberg, pas le nôtre. Et c'est dans cet état d'esprit que je me suis rendu en salle. Dans l'idée de voir un film nouveau, qui ne sera pas celui de mes rêves animés d'enfant, mais autre chose...

Et c'est ainsi qu'en un beau dimanche d'Octobre, entouré d'enfants déguisés pour Halloween en avance et d'adultes nostalgiques ou curieux, je rentrais dans la salle, le ventre noué d'espoir et de peur.

Dès le générique, les espoirs vont bon train. L'ouverture du film, son générique et la scène du marché sentent le miracle en marche (hommage magnifique dès le premier plan, manière de réconcilier les amoureux du dessin avec l'ambition du film).

Le film est sublime. Couleurs, mouvements, lumière, tout resplendit. Jamais performance capture n'avait été si bien mené. Les regards, les mouvements, tout y est terrifiant de classe.

L'adaptation? Comme je me l'imaginais, tout y est modifié, le sens d'Hergé est là et plus là en même temps. Piquant ici et là des bouts pour concevoir leur histoire, les scénaristes s'en sortent bien et si certains personnages sont sacrifiés sur l'autel, l'ordre des choses n'est plus à prendre en compte tant les histoires diffèrent. Disons le, c'est vraiment une nouvelle interprétation et plus une adaptation "Librement inspiré" pour dire plus justement.

Le film n'en demeure pas moins fidèle à Hergé dans cette façon d'appréhender Tintin et Milou, les deux icônes, ici merveilleusement servis. Haddock, j'ai eu plus de mal, lié à l'anglais et l'accent de Serkis, aux expressions clés du personnage, qui appartiennent vraiment au français. Les autres sont trop différents pour faire une comparaison. Alan a perdu son rang (de vrai homme de main, cruel, il devient second rôle terriblement accessoire, pas assez présent), Barnabé devient un vulgaire agent américain (et inutile à l'intrigue, pour le coup), et les acteurs du Crabe ne servent vraiment plus qu'à faire avancer l'intrigue...

Restons sur le positif. L'action, d'une part, entraînante, totalement propre au Spielberg des Indiana Jones. La folie de la poursuite au Maroc est littéralement jouissive, et si on n'a aucune trace de ce genre d'action chez Hergé, le morceau de bravoure visuel n'en demeure pas moins réjouissant. Mais le plus beau moment, directement lié à la BD, est le combat naval entre Haddock et Rackham...Ce qui faisait rêver dans la BD est là, et rien que pour cette scène, le film mérite d'être vu.

On reste cependant un peu sur sa faim avec le final du film, une scène d'action extravagante et lourde qui finit par lasser. Le dénouement arrive du coup un peu comme un soulagement, au moment où le film part en sucette, va trop loin, s'alourdit inutilement. Le film laisse alors un certain vide. Finalement, il n'en reste pas grand chose, deux heures après...Peu de morceau à garder, de thème musical à fredonner (ça c'est vraiment le truc qui me manque, j'en venais à regretter le thème magistral de a série télévisé, qui aurait pu resservir ici), de rêve, de scènes dont on se dit "et celle là?", de répliques...

J'avais bien en tête l'envie d'amener Tintin en nouveau modèle de serial, comme Indiana le fut en son temps. Le pari tient debout, certes, sur l'ensemble du film, mais ne va pas assez loin. L'ironie veut que je craignais pour le respect du héros de mon enfance, et que ma déception vient d'un autre aspect, un certain manque de points fédérateurs, d'un quelque chose en plus. Un peu entre les deux chaises, donc, entre Hergé et Indy, jamais tout à fait l'un, pas assez l'autre...

Pas déçu, cependant, la peur est levée, longue vie au Tintin de Spielberg et Jackson. Le nôtre peut dormir en paix, dans les pages des albums que dévoreront les enfants qui verront le film en salle, découvriront les requins, la Lune, l'Or noir, les bijoux cachés, Rastapopoulos et autres figures clés des aventures du héros.

Il y a de la place pour tout le monde...Et il est parfois bon d'avoir peur, ça permet de se rassurer après coup.