jeudi 15 décembre 2011

About a girl (With a dragon tattoo)


Le voilà sous mes yeux, la lumière s'éteint, Fincher, opus 9.

Cette critique comporte énormément de spoilers sur le film, ne la lisez pas si vous souhaitez vous préserver. (vous pouvez, pour un avis, lire uniquement le dernier paragraphe)

On ne s'attardera pas ici sur la mise en scène, sur la photographie, les costumes, sur tout le détail, parce que c'est un Fincher, réalisateur maniaque qui parvient à rendre à l'écran ce qu'il voit. Tout cela est parfait, comme d'habitude. Penchons nous un peu plus sur le sens, l'envie, la valeur ajoutée du film et de Fincher face au livre.

Dès la première image, le film impose un silence, un de ces silences bien à lui, deux vieux parlent d'un objet, une conversation en apparence banale, une obsession qu'ils partagent, bien à eux. Puis le film enchaîne sur un générique furieux, bondien, mettant en image la fureur, les tatouages, les câbles, les ordinateurs, l'univers mental de Lisbeth, tandis que résonnent les paroles d'Immigrant Song.

L'an dernier, en apprenant le choix de Fincher de filmer la nouvelle adaptation du roman de Stieg Larsson, j'étais étonné et déconcerté. Puis, à la lecture de l'opus, j'avais entrevu dans le roman des éléments qui faisaient le lien entre ce best-seller suédois et l’œuvre en 7 films (alors) du cinéaste, mais également des actes manqués de l'artiste, comme son adaptation longue du Dahlia Noir d'Ellroy...

J'ai retranscrit tout cela dans ce texte pour filmdeculte. Invité à voir le film en avant première, j'ai eu la possibilité de confirmer tout cela, et bien plus. Millenium ne ressemble à aucun Fincher, et en même temps, on y rencontre sans arrêt les fantômes de ses précédents films. Commande de studio plus que film personnel (j'aime le terme de réappropriation), il condense et rapproche les cinémas de Fincher. Comme sur notre début, deux forces antagonistes s'opposent pour mieux se compléter, d'une part le féroce et violent réalisateur des débuts, et d'autre part le cinéaste assagi d'aujourd'hui.

Fincher a tourné avec Millenium des rencontres...


Celle de Michael Blomkvist et Lisbeth Salander. Lui est un homme solide, posé, fort, qui se retrouve soudain perdu et qui décide de s'isoler, non pas pour abandonner, mais pour rebondir, se refaire, redevenir pour lui cette figure solide qu'il affiche aux autres. Elle est un animal blessé qui a appris à se battre pour survivre, malgré les obstacles, le passé, la violence des hommes, son corps frêle, avec pour seule arme son intelligence et son tempérament, cette rage intérieure. La rencontre de ces deux personnages fait écho à celle des deux faces du cinéaste.
Face à Lisbeth menaçante, filmée en contre-plongée, hurlant sa folie à l'homme qu'elle torture, on repense à Tyler Durden. Face à Michael Blomkvist travaillant sur des photos sur son ordinateur, mettant le doigt sur un élément invisible aux autres, on revoit Robert Graysmith décryptant les œuvres du Zodiac.
Le film est ainsi au début, mêlant en alternance le quotidien de Lisbeth (sans attache, victime, puis vengeresse), et l'enquête de Blomkvist qui piétine. Fincher rompt d'ailleurs avec le livre en entrecroisant leurs parcours, pour mieux faire sentir leurs différences et pour mieux les rapprocher, là où Larsson séparait les deux héros de façon plus franche. Cette rupture déconcerte, mais fait sens. Fincher n'omet jamais, d'ailleurs, d'inscrire son récit dans l'ensemble de l’œuvre de Larsson, subrepticement, comme pour entourer ses héros de ceux qui les définissent, pour mieux accentuer le force de la rencontre, définir ce qui séduira Lisbeth, ce qui fascinera Michael. Cette rencontre, c'est le cœur de ce premier volet, le pourquoi du reste. C'est une histoire improbable, impossible, celle de deux versions d'un même modèle, du héros Fincherien en quête de sens...


Millenium, c'est aussi la rencontre des deux héros avec un pays, une histoire, incarné par la famille Vanger. Un premier choc (avant la suite des évènements) pour mieux cerner ce qui est le cœur de l’œuvre du journaliste Larsson, qui a sûrement fasciné le cinéaste. Tout ce qui est pourri au cœur de l'histoire d'un pays. "Il n'y a pas d'innocents, il y a cependant des degrés de responsabilité." disait Larsson.
Deux instants du film illustrent le propos. La première, anecdotique, montre les réticences de l'avocat des Vanger à ouvrir les archives familiales à Lisbeth et Michael, prétextant qu'en 180 années d'activité, il y avait énormément de choses à cacher. La seconde, probablement l'une des plus belles scènes du film, voit Blomkvist rencontrer le frère d'Henrik, ancien nazi, qui vit dans les vestiges de sa gloire passée sous l'uniforme. C'est dans cet instant plus qu'ailleurs que l'on voit soudain, le temps d'une scène, s'étaler la haine viscérale et la rancoeur face au reniement de l'histoire du pays, ses erreurs...Ou comment la Suède vit avec son passé, remué une nouvelle fois par l'électrochoc qu'incarnent les deux héros à leurs manières. En cela, la fuite d'Harriet, au cœur du film, comme le sous-sol de Martin, traduisent deux possibles, celle qui fuit la figure du passé (le père) et celui qui reste, hanté par ses fantômes (on pense ici aux deux frères Von Orton de The Game).
L'enquête participe également de cet affrontement avec le passé. En creusant le passé de l'entreprise Vanger, Larsson retranscrit l'horreur d'une façon de considérer le monde, le rapport des puissants à l'autre. En cela, la longue scène avec Martin Vanger est un véritable prodige, porté par Stellan Skarsgard, magnifique monstre qui en une séquence parvient à construire ce genre de personnage que Fincher capture avec tant de maestria, comme l'entretien avec John Doe dans la voiture de Se7en ou la rencontre avec Arthur Leigh Allen dans Zodiac. Un certain regard sur le mal, sur son existence, sa justification, son horreur froide...


On prend également conscience de cette rencontre par l'irruption de la musique de Trent Reznor et Atticus Ross dans le film, l'un des éléments clés du film. Omniprésente, son apport est ici considérable. Elle parait dissonante au début du film, avec son agressivité électro au milieu de ce lieu enneigé et calme, comme pour nous rappeler les paroles d'immigrant song "How soft your fields so green can whisper tales of gore" du générique de début, comme pour signifier l'ambition de déterrer, d'amener l'intrus dans la solennité. Et de cette dissonance émerge un nouveau rythme, comme si le film s'y pliait, comme si le contraste nous apparaissait également à l'écran, en découvrant ce qui se cache sous la neige..."What is hidden in the snow, comes forth in the thaw".


Et derrière les meurtres, derrière l'horreur, il y a ce titre, "Les hommes qui n'aimaient pas les femmes". On sent ce qui fascine Fincher lors de la scène finale: Lisbeth. C'est vers elle qu'il revient. Il n'est pas question de guerre des sexes, mais de dresser un portrait, celui d'une femme. Rare sont les femmes chez Fincher. Pourtant, de Ripley à Meg Altman dans Panic Room, elles sont très proches : entourées d'hommes, enfermées, et pourtant luttant jusqu'au bout pour s'affirmer, sans renier leurs féminité, en la préservant à tout prix, même sous le masque. Lisbeth est de ces femmes-là. Incarné par Rooney Mara, elle est aussi vibrante et fabuleuse que dans le livre, regard acéré, faiblesses, forces, haine et peur. On sent l'amour de Fincher pour Lisbeth, un regard avec cette forme de compassion qui lui est propre, jamais facile, jamais larmoyante, mais qui parvient à remuer. Button, son incapacité sociale, son "handicap", la conscience de ses limites, est presque le personnage de Fincher le plus proche du cœur de Lisbeth, ce que Fincher a placé en elle. La fin (et la reprise d'Is your love strong enough) me hante, un peu comme celle de Benjamin Button en son temps. Une fin à la fois ouverte et qui dans le même temps, conclut parfaitement le tout. Un de ces finals qui terrasse, comme Fincher sait si bien les faire.

Pour conclure, l'opus 9 de Fincher est un peu comme le livre qu'il adapte. Difficile à attaquer, ne se donne pas facilement, traîne sur la fin, mais dont on ne peut détacher les yeux, qui se révèle fascinant. Fincher livre un film imparfait, peut-être trop indigeste...mais qui contient des instants, des détails, qui le singularisent, en font un film atypique, fort dans ce qu'il possède. A défaut d'être un accomplissement parfait, comme son précédent film, Millenium est de ces œuvres qui vieillissent bien pour certains comme elles sont oubliées par les autres.

J'ai un faible pour ce genre de films.

lundi 12 décembre 2011

Baston de films aux USA (prono fin d'année)

Aux USA, après un début décembre bien calme va débouler la tempête de films de fin d'année.

Et de tempête, c'en est une vrai puisque tous les films qui sortent sont des potentiels cartons et que TOUS sortent en 9 jours de temps.

En effet, ces dernières semaines n'ont pas vu le box office US fleurir mais au contraire, ça nivelle vraiment par le bas. Mis à part Twilight, tous les films se mangent un peu le trottoir.

Happy Feet 2, notamment, a complètement déçu les attentes, la suite venant trop tardivement et le film souffrant de sortir le même jour que le rouleau compresseur vampirique. Résultat, une fin de carrière autour des 70 millions, soit le budget café des attachés de presse du film...

Les Muppets, après un démarrage carton, s'est aussi effondré, et bien que le budget soit tout petit (quoique la dépense promo non dévoilée doit bien gonfler l'enveloppe de Disney), on reste dubitatif quand le film perd quasiment tous ses spectateurs dès la seconde semaine. Et si on pensait voir le film aller tranquille vers les 100 millions, il se contentera de 70 pareil que les pingouins.

Et les autres ne vont pas mieux: le cheezy film de Gary Marshall avec son all star cast vient de se prendre un gros gros vent dans la poire avec un démarrage à 13 millions (soit le budget des agents de toutes les stars melons du film), Hugo se Scorsese avec la 3D en bonus ne marche pas du tout (et lui aussi a couté très très cher), Sandler se prend un bide violent avec son dernier nanar, Stiller et Murphy n'ont pas exalté les foules avec Tower Heist, Di Caprio n'a pas sauvé le Eastwood J.Edgar du flop...

Bref, c'est la Bérézina...D'où la question: les gens économisent-ils sous et temps pour l'avalanche de fin d'année. En effet, dès samedi et dans les jours qui suivent, sortent 9 films pouvant (et devant) être des gros cartons au box-office. Décryptage:

Sherlock Holmes 2
Le précédent avait engendré une bonne presse, et a été un carton aux USA en salle (+200 millions) et en vidéo. On a dit que ça avait été un exploit vu qu'Avatar était en face. Mais on peut se demander si les refoulés des salles d'Avatar n'ont pas rempli celles de Sherlock...
Reste que c'est LA valeur sûre de la fin d'année, le film qui va remplir son contrat.
Ceci étant, les premiers échos de cette suite ne sont pas bons. C'est aussi un facteur à voir. Reste qu'Holmes ouvre seul sur sa tranche de public "ado-adulte" et peut ramasser gros dès le premier week-end. Mais la concurrence d'après peut totalement le manger.

Les chipmunks 3
Alors, personne n'ira le voir, mais sachez que la franchise de la Fox est de loin la plus rentable. Les deux premiers épisodes ont raflé + 200 millions chacun, et dans un monde où Yogi Bear passe les 100 millions, le troisième Chipmunks sera encore tout en haut. L'ironie serait de balader Holmes...Surtout, le film est tout seul dans le créneau "enfant" (avec Tintin, qui est difficile à mettre dans une case), et si Happy Feet et les Muppets ont bidé, ce ne sera pas le cas ici...

Mission: Impossible, Ghost Protocol
Les critiques ont bien refroidi tout le monde, le troisième film n'avait pas vraiment fait d'étincelles et Cruise n'est plus une garantie de succès. Reste les salles Imax (mais pendant combien de temps, vu que Tintin arrive derrière) et le nom de la franchise. Mais le film avance tout de même dans un univers ultra-concurrenciel (Holmes et Tintin, plus Millenium). Le film risque très gros. Reste l'international où Cruise a encore du crédit.

Les aventures de Tintin
Le film sort quasi en dernier aux USA, et il a déjà engrangé 233 millions à l'international, ce qui n'est pas la folie (rappelons que les smurfs de Raja Gosnell ont fait deux fois plus), mais assure une suite à l'aventure de Tintin sur grand écran. L'accueil critique positif et le nom de Spielberg vont assurer un peu le film, mais comme pour Mission: Impossible, c'est un peu le flou. La performance capture n'est pas vraiment synonyme de carton, le personnage n'est pas très connu des jeunes générations...Tintin devait sa survie à l'Europe, il peut ramaser quelques billes aux USA, mais le pari est dur.

The Girl With The Dragon Tattoo
On saura demain 13 décembre ce qu'il en est vraiment du film de Fincher, puisque l'embargo critique (destiné à truster la couverture médiatique dans l'embouteillage de fin d'année) sera enfin levé. Le film a pour lui son buzz net (ça ne vaut rien sur le territoire US, mais c'est un petit plus), le nom de son réal (qui n'a pas eu de cartons en salle, mais assure la présence d'un grand nombre de cinéphiles) et surtout le fait d'être la version anglaise du gigantesque carton littéraire depuis Twilight et Harry Potter. Nombreuses couverture de journeaux, succès des préventes de tickets sont de bons indicateurs. Mais le film part avec pas mal d'handicaps. La concurrence d'Holmes, MI, We Bought a Zoo et surtout War Horse, ajouté à sa durée (+2H40) qui limite l'exploitation, plus le Rated-R qui le prive du public ado (même si pour le coup, il n'est pas vraiment visé ici). Si on ajoute le côté Remake, et le fait que le film suédois a eu un gros succès via Netflix et autres, tout ça fait que le film, que beaucoup annonce gagnant peut aussi s'épuiser... A voir, après, si l'accueil critique est très positif, plus une possible campagne oscar qui peut doper le film.

The Darkest Hour

Le film mystère. Potentiellement le plus gros bide de la saison. Pas de star, film tourné en Russie...Le film joue clairement la carte du buzz, du film qui va en donner pleins les yeux pour pas cher...Trop de concurrence pour le voir émerger, mais ça peut aussi être le film qui mange des places à tout le monde. Et si Darkest Hours surprenait les gros mastodontes et renvoyait tout le monde sur un remboursement international forcé?

We bought a Zoo
La mystère est complet aussi. Qui ira, au milieu de toute cette offre, voir le film de Cameron Crowe? Certains voient justement le film sur un créneau "marley et moi" qui peut le faire s'envoler très haut. Personnellement, le film m'enthousiasme peu, mais c'est clair que son créneau "famille" peut lui permettre de s'accrocher. Ceux qui ne veulent pas de viol anal ou de scènes d'actions ou de Chipmunks vont se raccrocher au film de Crowe. Et ils peuvent être nombreux.

War Horse
Le film ne va pas compter sur ses premiers jours, mais s'est intelligemment déplacé pour mieux survivre. War Horse est LE film oscar de la fin de saison (avec le suivant), le film qui va vivre sur le long terme. Et avec une bande annonce à l'émotion surpuissante, on peut vraiment y voir un gros succès pour Spielberg qui comme Crowe sera un peu seul dans son domaine. Une carrière à long terme et un bouche à oreille inévitablement positif.

Extrêmement fort et incroyablement près.
Comme pour le Fincher, Scott Rudin a traîné à montrer son film, pour mieux faire monter la sauce. Casting énorme (Hanks, Bullock, Viola "The Help" Davis...), réalisateur de films à oscars, sujet fort (11/09), bande annonce qui vend clairement une certaine image de l'Amérique (ça va plaire), le film peut aussi, sur la course des oscars, ramasser gros, surtout quand on voit que ceux de la presse qui l'ont vu le mettent systématiquement dans leurs top. Une sortie limitée à surveiller de près.

Pronostic:

1- Sherlock Holmes 2
2- Alvin et les Chipmunks

Les deux vont assurer, mais moins que prévu. Plus de 200 millions chacun.

3- Millenium 1
4- War Horse

Les deux là vont passer la barre de 100 millions assurément. Je vois un succès "True Grit" sur le long terme pour chacun, un gros 150-160. Sachant que le Spielberg peut aller beaucoup plus haut.

5- Extrèmement fort et incroyablement près

Je le met là, je me base sur ce qui s'annonce...Un succès à la "couleur des sentiments". Prise de risque quand même.

6- Mission Impossible 4

Ce sera la déception de fin d'année. Mais Cruise limitera la casse.

7- We bought a Zoo

Le film marchera probablement, mais restons sérieux...

8- Les aventures de Tintin

J'ai peut-être tort de viser si bas. Tintin peut aller à 80 millions mais je trouve que le film sort définitivement dans un vrai goulot d'étranglement.

9- Darkest Hour
Là, je sais pas. Film qui n'a rien pour lui de sûr. Donc on le met au bout. 50 millions bien tassés.

mardi 6 décembre 2011

L'art (français) de la guerre




Parlons bouquin un peu.

Je lis peu, ces temps-ci. Ou plutôt j'ai lu un méga pavé énorme (le titre est éloquent), et là je suis en "pause BD". Pour preuve, je n'accroche à rien. Très dur de tenir un Greg Bear quand on n'en a pas vraiment envie (et puis c'est Greg Bear qui écrit sur Halo, donc c'est quand même pour les fans), encore plus dur pour de la bit-lit...

Non, je suis en mode BD, puisque sortent de nos jours sortent de bien bonnes choses, le second Quai d'Orsay, le sixième volume des notes de Boulet...

Mais bon, je l'ai tout de même terminé, et c'est avec un plaisir non dissimulé que je vais vous parler en quelques lignes d'un roman en tout point fascinant.

L'art français de la guerre est un premier roman. Rien que d'envisager un premier roman faisant 630 pages bien tassées, bien nourries de références, d'une prose riche, d'un équilibre parfait entre dialogue, narration et description (là où d'autres auteurs livrent plus un scénario qu'autre chose), on contemple et on se tait.

L'art français de la guerre (je ne me lasse pas de ce titre) fait peur. Sa taille, son sujet, sa renommée, son prix. Le lire en entier est un exploit à conter en société, un peu comme pendant des décennies les autres se réjouissait de dire qu'ils avaient achevé le temps perdu de Proust.

L'art français de la guerre, venons-en au sujet, est un roman en deux parties.
La première narre la vie d'un homme sans passion, désintéressé de son quotidien qui abandonne tout pour un McJob (livreur de prospectus), et fait le récit de la France contemporaine, son malheur, son indigestion des drames du passé, sa guerre passive du quotidien. Il est bien narrateur, sans nom, notre héros, comme chez Palahniuk, on y pense d'ailleurs, à Fight club, curieusement, dans cette approche sans concession de la violence du dehors, dans la noirceur du récit, sa folie.

Jacques Perrin chez Schoendoerffer,
qui vient en tête pendant la lecture


Le second est celui de sa rencontre avec son libérateur, Victorien Salagnon, témoin de la guerre française, résistant, engagé en Indochine puis en Algérie, mais aussi peintre, artiste, l'auteur présentant la complexité de la nature de Salagnon pour mieux rendre les nuances du conflit, sa noirceur, sa réalité et parfois la beauté du geste qu'il accompagne.

Le choc des deux présente un message clair. La France, sortie de la seconde guerre mondiale, n'a jamais vraiment digéré sa déchéance, n'a pas tenu ses promesses et s'est embourbé dans une relation malsaine vis à vis de ses colonies, de son rapport à l'occupation de lieux qui ne lui appartenait pas, comme l'Allemagne vis à vis de la France. Je repense à une image en écrivant ceci, celle d'une candidate d'extrème droite clamant qu'on ne pouvait la considérer comme raciste ou autre car elle était petite fille de résistante, cette image s'accompagnant d'une autre de ces femmes qui disait que le malheur dans tout ça fut de libérer l'Algérie, de céder... Ce prolongement d'idée me revient alors que je parle du roman de Jenni, qui narre un peu tout cela, ce complexe rapport au territoire et au conflit, un syndrome, un malaise, qui emplit tout, notamment le cinéma, autre élément qui m'a interpellé, notamment à l'évocation du film de Ridley Scott, La chute du faucon noir, qu'il évoque en le mettant autant en exergue qu'il en déteste certains aspects nauséabonds. Le fait est que le film de Scott est un film important, notamment et surtout dans l'évocation du cinéma de guerre. Pas parce qu'il est patriote ou anti-guerre, mais parce qu'il décrit avec une force terrifiante la guerre moderne.

Certes, la guerre n'est pas tout le livre, il y a aussi l'art dans le titre. Ce dernier, décrit par Jenni au travers des mots de Salagnon, nait dans la solitude, à ce qu'il m'a semblé. L'artiste est seul à la création mais conçoit pour narrer à l'autre ce qu'il est, ce qu'il vit. L'art est un instrument pour les autres, l'artiste peint pour survivre, pour exorter un démon. Pas forcément l'horreur, il peint le quotidien et l'envoie à celle qu'il aime, pour lui faire vivre à distance, pour se rapprocher d'elle, pour être là-bas aussi, loin de la guerre. Les pages de Jenni évoquant la peinture de Salagnon sont, avec celles du "conflit" quotidien, les plus fortes du récit.

On ressort du récit sonné et aussi essoufflé, car c'est un gros livre, pleins de tant de récits, de descriptions fortes. On voudrait noter à part tant de phrases qui frappent juste. On est parfois remuer et choquer, parfois en désaccord avec l'auteur, souvent manichéen, appuyant trop là où ça fait mal jusqu'à en perdre sa crédibilité. Mais au delà du plaidoyer, c'est la beauté de l'écriture, sa force, qui demeure.

L'art français de la guerre est un de ces grands livres là, qui marquent de façon indélébile les uns et se ferme trop vite aux autres. Je suis content d'être des uns.

vendredi 2 décembre 2011

En attendant Janvier

Sur Itunes, on peut acheter le morceau de Karen O, Immigrant Song, reprise de Led Zeppelin, signé Reznor et Ross pour la BO de The Girl with the Dragon Tattoo


Message de Reznor: For the last fourteen months Atticus and I have been hard at work on David Fincher’s “The Girl With The Dragon Tattoo”. We laughed, we cried, we lost our minds and in the process made some of the most beautiful and disturbing music of our careers. The result is a sprawling three-hour opus that I am happy to announce is available for pre-order right now for as low as $11.99. The full release will be available in one week - December 9th.

Trois heures de musique, 6 disques, deux reprises...Folie de BO, qui trônera dignement aux côté de celle de Social Network, récompensé aux Oscars l'an passé (et monstre de BO déjà dans les platines de tous les monteurs dignes de ce nom).

Sinon, pour parler un peu du film, je compte entamer bientôt une semaine Fincher (probablement à la sortie du film), avec un très long portrait du réalisateur et de ses films.

En attendant, il y a deux très très bons articles à lire: le premier est signé Wired et le second provient de l'excellent blog Fincherfanatic. D'excellentes lectures, pour le coup, parmi les portraits assez banals de la concurrence. Le premier revient pas mal sur les débuts de Fincher, le second est une interview uncut de Fincher, un régal qui montre la précision, l'acharnement et le génie du réalisateur.

Dragon Tattoo a été vu par les jurys des prix de la critique New-York et du National Board of Review. Si le premier n'a remis aucun prix au film (même si des avis très très positifs sont ressortis anonymement de la projection, Sony menant un blocus sur le film pour entretenir le mystère), le second a vu le film de Fincher se classer parmi les 10 meilleurs films de l'année et Rooney Mara récompenser par le prix du meilleur espoir.

Tout ça sent très bon. Et si les chances de voir Fincher grapiller quoi que ce soit sont un peu légères (et il s'en fout, comme il le clame partout), on peut déjà se rassurer avec ça.

Allez, pour le plaisir: