lundi 25 juin 2012

Une vie dans quelques cases

Ça faisait longtemps que je n'avais pas parlé de bandes dessinées, quelque soit sa forme, manga, comics...

Il faut dire que, bien que je lisais de bonnes bd, souvent très drôles, comme La marche des crabes, tu mourras moins bête ou le Valerian par Larcenet, je n'étais pas convaincu par la nécessité de propager la bonne parole.

J'ai aussi été déçu, par les ignorants de Davodeau, dont j'adorais jusqu'à présent les oeuvres et qui m'a pas mal ennuyé avec ses coupes de vignes, ses rencontres un peu molassonnes et son rapport à la BD qui pour moi manque un peu de fond, quand les mauvaises gens m'avait retourné (une phrase, une).

Et puis dernièrement, coup sur coup, j'ai lu trois très très grandes bandes dessinées, de celles qui vous marque au fer blanc.


La première est signé d'un habitué du genre, Craig Thompson, qui avait signé Blankets il y a quelques années, et qui dans son genre avait su me retourner l'âme dans sa fable touchante et optimiste.


L'optimisme, dans Habibi, est singulièrement absent. C'est plutôt la rage de vivre, la force de cette volonté qui s'exprime ici. L'histoire de deux êtres qui sont liés par une force indéterminable, un amour immense qui dépasse les force du monde qui s'exerce contre eux. 


Habibi commence comme un conte mystique, au moyen orient, pour progressivement étaler la complexité d'un monde moderne (des buildings en acier, de l'eau en bouteille dans un désert d’assoiffés) qui émerge d'un moyen-âge culturel, où l'on vend les filles comme femme quand elles ont 9 ans, où l'esclavage du Harem existe encore, où l'on accepte les règles les plus injustes sur des croyances révolues... Habibi parvient de façon incroyable à faire se croiser tant de choses que ça en devient proprement fascinant.

On évolue avec Dodola et Habibi dans ce monde en constant changement, poussés par les vagues du destin qui s'acharne, on est souvent ému par les horreurs d'un monde en changement, narré au travers des légendes arabes, de la magnifique calligraphie de l'Arabe, que Thompson emploie régulièrement pour expliquer le monde actuel, comme s'il s'agissait, nous le savons, d'une histoire qui n'est, au fond, qu'un éternel recommencement.



Dans un genre très différent, un autre incontournable, lecture récente, fut Portugal de Cyrille Pedrosa. Je ne connaissais pas le travail du dessinateur jusqu'à présent, et j'avais longtemps remis la lecture de ce pavé sur les mauvais conseils d'un ancien collègue qui n'avait as aimé. Et c'est comme ça qu'on peut passer à côté d'une merveille.

Portugal, c'est l'histoire d'un auteur en crise (réminiscence d'autres grandes œuvres de BD, le combat ordinaire, par exemple) pour qui rien ne va plus, et qui va choisir de partir, pour se retrouver, au cœur de ses origines...

Portugal est d'abord une façon d'aborder un personnage, un récit. Plutôt que d'aller à la synthèse, l'auteur a pris le temps. Trois temps, celui d'une rupture, celui d'un mariage et celui d'un retour. Trois histoires, qui auraient pu être trois albums. Sauf que l'un serait perdu sans l'autre. Adoptant un code de couleur, un ton et un style pour chacune des parties, froid pour l'un, surchargé et chaud pour l'autre et terminant par une épure qui évoque calme et sérénité, l'auteur parvient à transmettre toutes la palette d'émotion que traverse son personnage, en plein traitement, en plein sauvetage.

Portugal est une BD immense à bien des égards. Sa taille, d'abord, des planches immenses, un nombre de cases conséquentes et une histoire gigantesque pour une seule histoire. Une grande œuvre qui sait parler des choses simples comme des sentiments complexes, le temps qui passe, l'amour, le rapport aux origines, au père, à la famille. Une BD bouleversante, à avoir chez soi pour la relire régulièrement, pour se replonger un peu, encore...

Terminons, last but certainly not least, par la bonne grosse baffe de l'année. L'inattendu.








Lors de mon dernier passage à Toulouse, ville de la BD et du Vinyle (parce que je repars de là-bas avec des BD et des vinyles, à chaque fois), mon grand ami Guillaume m'a conseillé d'adopter une BD, Daytripper, dont j'ignorais complètement l'existence, et qui m'était plus que chaudement recommandé. Il avait, comme très souvent, fort raison de m'orienter là-dessus.

Difficile de résumer sans trahir Daytripper. Bras est auteur. Il est le fils d'un des grands auteurs du pays et vit en rédigeant pour un grand journal du pays la rubrique nécrologie. Daytripper est l'histoire décousu de sa vie, ou plutôt de ses vies...

Daytripper est une immense fable sur le destin, de ces immenses récit de vie qui assument de parler du destin, de voir par la petite histoire la très grande. C'est un peu LA BD sur le sens de l'existence, si on peut dire les choses de façon prétentieuse.

L'ironie veut que Pedrosa et Craig Thompson, auteurs des BD adorées plus haut, signent préfaces et postfaces pour l'édition française de Daytripper. Difficile d'ignorer les raisons de ce rapprochement, sans pour autant les affilier.

Disons le tout de go, je ne pense pas que je lirai plus grande BD que Daytripper cette année. J'ai espoir que ce soit le cas, mais j'en doute. Quand j'ai refermé cet objet, j'étais ému, de cette émotion forte qui vous prend rarement, quand vous avez lu un truc qui vous explique un peu mieux le sens des choses, comme une illumination. On vit quelquefois ce genre de choses face à une grande œuvre. L'impression que tout est illuminé, tout fait sens. J'étais dans un avion sur le point d'atterrir, j'ai embrassé ma copine, j'avais les larmes aux yeux, c'était vraiment un truc étrange.

Daytripper est de ce genre là, une BD qui rend tout chose. Et si vous ne deviez en lire qu'une...

En voici le début...Je ne résiste pas à vous montrer ça...



samedi 2 juin 2012

The city and the city



Voilà, j'ai réussi à mettre la main sur l'autre prix Hugo de 2010, co-attribué avec La fille Automate.

En Europe de l'Est, deux villes, Ul Qoma et Beszel sont jointes. Pourtant, elle n'existent pas l'une pour l'autre, divisé historiquement par un mur invisible, qui est contrôlé par une instance invisible, la Rupture, qui interviennent si l'on franchit les frontières. Les deux villes ont une langage différent, des traditions, une économie...Tous les séparent, sauf qu'elles ne sont qu'un seul et même lieu. Un jour, une jeune femme est retrouvée morte à Beszel, mais personne ne la connait ni ne semble pouvoir l'identifier. Il semble pour l'inspecteur Borlu, qu'elle vienne d'Ul Qoma...un enquête commence, remettant en question l'ensemble des règles qui dictent le fonctionnement des deux villes.

On pense à la lecture de ce livre, foutrement intéressant, aux racines historiques qui ont inspiré Miéville, ces paradoxes que furent Berlin, Sarajevo ou qu'est encore Jerusalem...Ces ruptures invisibles, cette interdiction ne serait-ce que de regarder de l'autre côté...L'auteur pousse le vice à envisager ce monde divisé en y ajoutant des éléments qui évoquent Kafka et surtout Philip K.Dick, les puissances invisibles qui règlent notre monde, ces lignes de conduite qui ailleurs sembleraient folles, mais qui en ces lieux fermés définissent la vie de ses résidents.

Kafka, une vraie source d'inspiration, également, dans l'absurde, l'inquiétante étrangeté qui émane des deux villes, de la Rupture, du conflit social en action... Miéville ne cache rien aux lecteurs de cette ville qui agit comme un miroir déformée, où l'une est l'allégorie de l'autre. Il pousse le vice et mène son enquête policière telle un roman noir, avec son flic las, son univers urbain, ses manipulations, ses révélations, sa petite musique lancinante comme une ritournelle d'un quotidien absurde. Et puis il y a son Dahlia, mystère d'entre les mystères, vengeance sourde qui nourrit encore et toujours les grandes oeuvres, de Chandler à Larsson en passant par Ellroy, évidemment.

C'est un excellent livre, à la croisée des genres, un de ces romans qui prennent leurs temps, qui vous immergent doucement, pour ne pas vous faire sentir la noyade imminente, le déchainement des dernière pages, quand on lutte enfin...

J'ai toujours considéré le prix Hugo comme un vrai gage de qualité pour la SF, récompensant autant JK Rowling et Neil Gaiman que Michael Chabon ou Susannah Clarke (pour ne citer que les plus récents). C'est encore ici le cas, avec cette œuvre qui semble hors du temps, littéralement.